http://manicore.com/documentation/vade_mecum.html
Extrait :
"Quand la "grande"
presse, celle qui édite les journaux ou magazines lus par des millions de
personnes, ou qui produit les émissions d'information écoutées ou regardées par
des millions de personnes, évoque une catégorie qui a de l'influence sur
l'évolution de la société, elle mentionnera éventuellement la police, les juges,
les politiques, les médecins, les automobilistes, les parents d'élève, les
industriels, les américains, les chinois, les fumeurs (ou les non-fumeurs, c'est
selon), les fonctionnaires, les publicitaires ou les chasseurs, mais la seule
profession qu'elle oubliera généralement de mentionner dans l'inventaire est...
celle des journalistes. Et ceci a
une conséquence directe : rares sont mes interlocuteurs qui pensent spontanément
à la presse quand il est question d'écrire à quelqu'un qui exerce le pouvoir.
Or le journaliste ou son rédacteur en chef qui
décide, in fine, que des millions de français entendront parler de ceci
et pas de cela, verront l'interview de truc et pas de machin, que tel argument
sera repris et pas tel autre, que la conclusion sera celle-ci et pas une autre,
dispose, en pratique, d'un pouvoir absolument considérable : celui de trier à
votre place l'information qui vous sera servie, car l'essentiel du temps vous
n'irez pas de vous-même à la pêche aux informations auprès des sources
primaires.
En conséquence de
quoi, sur l'essentiel des sujets
de société (la tabagie, les transports en commun, le prix de l'essence, l'état
de l'économie française, etc), l'immense majorité des électeurs ne saura jamais
rien de plus que ce qui figure dans le journal (ou vu à la télé, ou entendu à la
radio, c'est pareil). Même quand on croit piocher ailleurs (un livre, une
conférence, ou... une conversation de bistrot !), il s'avère assez souvent que
si l'on remonte un peu la chaine de l'information, on finit par trouver... le
journal. Ce dernier a beau être la fin d'un téléphone arabe pour lequel vous ne
connaissez ni le nombre d'intermédiaires, ni la fiabilité de chacun d'eux, c'est
quand même de là que provient l'information sur laquelle tout un chacun se base
pour prendre en compte l'essentiel des sujets de société.
Vous croyez que les
politiques consultent de volumineux rapports avant de décider de plans donnés ?
Leurs conseillers peut-être, mais eux non : ils n'ont tout simplement pas le
temps. La presse joue donc un rôle central dans l'information des électeurs,
mais aussi... des élus. En démocratie, les journalistes ont un effet de levier
majeur sur la décision (ou l'absence de décision) politique. En disant cela je
n'invente rien de neuf : De Tocqueville l'avait déjà pressenti en 1840
!
Evidemment, ce qui suit
ne va pas concerner les journalistes qui restituent correctement les faits, et
heureusement il en existe. Mais il arrive hélas trop souvent que la presse
contribue à ce que le "débat public" se mette à traiter un problème imaginaire,
ou très mal situé dans la hiérarchie des choses qui comptent vraiment. En pareil
cas, il n'est pas exagéré de dire que cela peut conduire une société à sa propre
ruine, ou du moins à des gros gros ennuis qu'elle aurait pu éviter. Quelques
exemples ?
Une majorité de
journalistes peut par exemple répéter à l'envi que le monde est bien assez vaste
pour accueillir encore des décennies de croissance (c'est discutable, précisément pour des raisons
physiques), et, si nous les écoutons, nous subirons des chocs bien plus
violents que si nous acceptons dès
maintenant que le monde est bien fini et que nous nous organisons en
conséquence.
De même, il arrive très souvent à la presse de dire que
nous avons 40 ans de pétrole (c'est faux au sens
où nous croyons être tranquilles pour la même durée), et là aussi "ne rien
faire" en prenant cette affirmation pour argent comptant amènera un
affaiblissement rapide de la société qui serait évitable en prenant le taureau
par les cornes.
Et, bien sûr, dans le
domaine énergétique cette déformation dans la restitution de la réalité physique
s'applique fréquemment au nucléaire, où il est rarissime que la presse fasse
écho aux conclusions des médecins, qui est... que le nucléaire est la meilleure
des formes de production d'électricité dans celles qui sont disponibles si nous ramenons les impacts sur
l'environnement ou les hommes au kWh produit.
Enfin, quel que soit le sujet, quand un media
consacre 2 pages (ou une heure) à raconter des choses fausses, et qu'il s'avère
que c'est faux,
jamais le même
journal ne consacrera à nouveau 2 pages (ou une heure) à expliquer qu'il s'est
trompé, et que voici ce qu'il en est vraiment. Le grand public reste donc avec
la bêtise, jamais démentie, et vote (ou répond aux sondages) en
conséquence.
Ce long préambule
débouche sur une conclusion : dans tous les gens à qui ont peut écrire pour
"faire quelque chose pour faire avancer le schmilblick", c'est à mon sens les
journalistes qui sont prioritaires. Et là, il y a deux possibilités :
Vous pouvez avoir envie d'écrire à un(e) journaliste qui vous semble avoir basé son raisonnement sur des faits inexacts, inventés, confondant les ordres de grandeur, ou mal compris,
Mais vous pouvez aussi souhaiter écrire à un(e) journaliste qui sait justement hiérarchiser, ne pas confondre les militants et les labos de recherche, etc, pour lui proposer des faits ou des rapprochements de faits qui vont lui permettre de gagner du temps dans sa prise de hauteur de vue. N'oubliez pas que même au sein d'une rédaction il n'y a pas d'homogénéité, et donner des billes à ceux qui vous semblent se donner la peine de décrire le monde tel qu'il est avant de le décrire tel qu'il devrait être est utile pour les arbitrages internes.
Dans le premier cas de
figure, il est clair que la barrière à franchir est plus élevée (personne n'aime
se faire faire la leçon), mais à
force de proposer un argumentaire construit pour expliquer que la vision du
monde de votre interlocuteur ne correspond pas à l'observation des faits, et
pourquoi, ou à force de suggérer une mise en perspective à laquelle il n'avait
pas pensé, cela peut finir par avoir un effet réel sur sa manière de comprendre
le sujet, et à ce moment vous aurez directement changé l'information disponible
(pour le meilleur il faut espérer !) pour des centaines de milliers ou des
millions d'électeurs.
En pareil
cas, le bon angle d'attaque n'est
pas de reprocher des positions "sentimentales", mais de faire remarquer en quoi
telle ou telle affirmation ne correspond pas aux données observables, lesquelles
et obtenues comment. Comme souvent la conclusion de l'article ou du document
audiovisuel concerné dépend du fait énoncé au début, cela remet de fait en
question la conclusion qui en découle sans que vous ayez besoin de vous
aventurer sur le terrain glissant des intentions.
Qui sont les bonnes
cibles pour cela ? Rarement les journalistes de Closer et de Be, mais plutôt
:
Les journalistes environnement des grands media,
Les journalistes société, économie, et plus rarement vie quotidienne, international, ou vie locale des grands media.
Eventuellement les rédacteurs en chef, directeurs de la rédaction, patrons d'unités de programme, et plus généralement des gens qui arbitrent l'espace accordé à chaque sujet ou la cohérence d'ensemble.
Je ne vous recommande
pas de commencer par les journalistes politiques : à force de côtoyer les politiques en vue, ils leur
ressemblent trop (du reste ils se font souvent la bise, voire sont mariés
ensemble !). D'expérience, les journalistes politiques sont presque aussi peu
sensibles aux argumentaires rationnels que les politiques eux-mêmes, et ce sont
aussi ceux qui estiment avoir le moins à apprendre, puisque ce sont les "plus
importants" des journalistes (ce qui se discute). Après, comme partout, il y a
bien sûr quelques exceptions...
A quel moment écrire à
un journaliste ? L'idéal est de partir d'un article récent, pour lui envoyer un
commentaire apportant des réponses détaillées à ce que vous estimez être inexact
ou mal mis en perspective. Encore une fois, plus votre critique se rapproche de
la non prise en compte de faits scientifiquement documentés, et plus elle est
solide et écoutée. Et si vous savez vous y prendre, au bout de quelques envois
il est parfaitement possible que le dialogue s'engage (cela m'est arrivé plus
d'une fois).
Comment trouver le mél
d'un journaliste ? Plusieurs possibilités :
Vous avez déjà celui d'un autre journaliste du même media, et en général ils sont tous faits pareil,
L'encadré qui mentionne les dirigeants du journal (il y en a toujours un) donne ceux des chefs, et après il suffit d'utiliser la même syntaxe pour les méls des journalistes qui rédigent les articles,
Vous faites une recherche sur un moteur de recherche connu, pour voir si leur mél ne traîne nulle part sur un descriptif de colloque,
Et sinon voici quelques recettes utiles :
Dans les media de service public (France Television, Radio France, etc), les méls sont toujours du type prenom.nom@nom-de-domaine ; pour France Télévisions le nom de domaine est francetv.fr, pour Radio France radiofrance.com, pour France 24 france24.com, et sinon le nom de domaine correspond en général au site internet du média,
Pour les media privés, le nom de domaine est aussi celui du site internet (tf1.fr, bfmtv.fr, lemonde.fr, lefigaro.fr, etc). Par contre pour la syntaxe du mél il y a plusieurs possibilités, qui sont le plus souvent l'une des 4 suivantes : prenom.nom@nom-de-domaine, première-lettre-du-prenom.nom@nom-de-domaine, nom-de-famille-tout-seul@nom-de-domaine, première-lettre-du-prénom-et-nom-collés-ensemble@nom-de-domaine. Pour les prénoms composés et les particules, soit on colle tout, soit on met des tirets, il faut tout essayer !
Essayez tout ! Et si
vous avez un message d'erreur, c'est que ce n'était pas la bonne syntaxe, et il
faut recommencer. Par contre, si vous n'avez ni message d'erreur ni réponse,
c'est que le mél est bien arrivé... mais n'a pas été lu, ou que votre
interlocuteur n'a pas souhaité y répondre, soit par manque de temps (mais il a
bien assimilé ce que vous lui avez dit), soit par manque d'arguments. Mais
comme, si il ne répond pas, vous ne savez justement pas pourquoi il ne répond
pas, gardez vous d'en déduire que c'est nécessairement pour ceci ou cela !
Vous pouvez bien sûr
mutualiser les envois (ca s'appelle un communiqué de presse) mais le plus
efficace est de très loin d'écrire à une personne bien identifiée pour réagir
sur un article ou un passage audiovisuel bien identifié. Dernier point : les
journalistes reçoivent très peu de méls en direct fournissant un avis critique
argumenté sur une de leurs productions. Le gros des commentaires reçus porte sur
le fait d'avoir utilisé le mauvais terme pour qualifier les habitants de Bourg
en Bresse, ou alors consiste en une insulte ou des félicitations sommaires. Donc
si vous leur écrivez des choses argumentées, vous ne serez pas en concurrence
avec 267 personnes qui auront fait pareil !"